Sélectionner une page

Une œuvre mémorielle intégrée au jardin mémoriel en hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015 place Saint-Gervais, paris

A 465 mètres du centre de la clairière du jardin mémoriel, devant la cathédrale de Notre-Dame, à l’emplacement de l’ancienne échelle de justice se trouve la rose des vents qui désigne le point 0 des routes de Frances. L’œuvre est une cousine tragique, une deuxième rose des vents, elle aussi positionnée à proximité d’un lieu symbolique de l’histoire de Paris, l’Orme de justice.

La « Rose des vents », une stèle liquide

Froid du métal inerte et vie de l’érablière

Carte des Roses des vents et des lieux des six attaques

Des failles échancrent le cercle de ciel sans menacer son unité.

Le plan d’eau horizontal de l’oeuvre «Rose des vents» est un sismographe sensible aux plus infimes variations de l’air et de la lumière.

Les failles semblent arrêter le temps. La matière a été retirée d’un coup sec à l’emporte pièce. L’eau y chute verticalement et disparaît soudainement dans le noir de la terre,

Le mélange avec les platanes existants et la similitude des feuilles aux découpes graphiques permet d’affirmer l’identité du lieu.

Les noms sont agencés en rayonnant, on lit de la périphérie vers le centre en marchant autour de la table, dans le sens horaire ou antihoraire.

 

 

 

une graphie spécifique pour chaque personne, à mi-chemin entre la calligraphie et la typographie stabilisée,

 

La vision d’une feuille qui tombe, d’un reflet qui glisse, d’un vol d’oiseaux, d’un scintillement de lune, d’une pluie ou d’un rayon de soleil, l’écoute d’une musique d’eau, une sensation de fraîcheur sont exacerbés par l’œuvre.

 

 

 

Une orientation selon les lieux des attentats: foule et orateur dans la clairière

 

 

La place Saint-Gervais constitue un espace singulier de 3200m² au cœur même du centre historique de Paris, face à l’Hôtel de Ville, à deux pas des quais de la Seine et de l’Ile de la Cité.

Au centre de la clairière, nous avons conçu une sculpture en acier qui a pour titre « Rose des vents ». Elle est composée d’une « table d’eau » circulaire de 13,10 mètres de diamètre et de six lames d’acier horizontales rayonnantes, les « méridiens ». La surface calme du plan d’eau est échancrée par 6 failles qui semblent arrêter le temps. La perte et l’absence sont évoqués par l’interruption subite du plan d’eau horizontal. L’eau y chute verticalement dans un vertige. Le ciel et les météores semblent être eux même siphonnés par le flux continu. Entaillé de quelques millimètres, le bord de la table d’eau laisse perler 131 larmes qui coulent en continu. Dans le prolongement des failles, les six « méridiens » matérialisent en pleine masse d’acier les directions des lieux des attaques à Saint-Denis et à Paris.

Le ciel – Le centre de l’œuvre est une lumière. Le cercle d’une table d’eau nous rassemble autour d’un miroir de ciel. Il évoque l’unité du genre humain – dont l’interdiction du meurtre est une règle fondatrice.

La terre – le caractère soudain des attaques est évoquée par la chute verticale de l’eau dans les six failles. La matière a été ôtée d’un coup sec à l’emporte-pièce. La lumière de la surface étale de l’eau plonge à la verticale dans le noir de la terre.

Une géographie – Les six failles et les six méridiens sont orientées selon la direction exacte des six lieux des attentats.  Les directions de ces lieux oriente la « Rose des vents » et l’ensemble du jardin selon un angle qui forme un quart nord-est de la table d’eau. Les sites des attentats sont rapportés dans le jardin mémoriel. On saura dans quelle direction et à quelle distance ils se trouvent, on pourra leur faire face ou leur tourner le dos. La « Rose des vents » est un instrument de mesure extrêmement précis, qui tient de l’horloge quand on en fait le tour en lisant les noms des victimes, de la boussole lorsqu’elle indique les lieux des attaques, du baromètre lorsque la surface de l’eau s’irise, d’un instrument d’optique lorsqu’elle reflète le ciel, d’une arme par l’effet de présence de sa masse métallique dans l’espace public.

Flux hydraulique et catastrophe infinie – Sous le ciel, dans la lumière sereine de la clairière, la surface étale du miroir d’eau est six fois échancrée. Six failles semblent arrêter le temps. L’eau y chute verticalement et disparait dans le noir de la terre. Le ciel reflété est lui-même siphonné dans le flux continu implacable. En partant, on laisse à lui-même le mouvement perpétuel des reflets des météores s’abandonner dans le vertige de la chute. L’œuvre donne ainsi forme à une terreur qui n’a jamais d’engendrer la douleur.

Les noms des victimes décédées – L’amorce de chaque prénom entaille le bord de la table et laisse couler verticalement une «larme d’eau». Les noms sont agencés en rayonnant, on lit de la périphérie vers le centre en marchant autour de la table, dans le sens horaire ou antihoraire. On sera tenté d’effleurer les noms, juste sous la surface de l’eau. Il y a cent trente et une lignes. Les noms sont classés dans l’ordre alphabétique strict, tous lieux confondus. Le contraste des valeurs entre le fond de la table en métal sombre et la matière à vif sera révélée par la gravure. En fonction de la longueur du prénom et du patronyme, une ligne mesure de 40 cm à 150 cm.

Froid du métal inerte et vie de l’érablière – Par sa matérialité et sa précision millimétrique, l’œuvre contient la violence froide des évènements qu’elle commémore. Le métal froid luit dans les sous-bois de l’érablière. La géographie de la terreur est inscrite dans la paix de la clairière.

La mesure des évènements – La « Rose des vents » est un instrument de mesure extrêmement précis inscrit dans l’histoire de Paris. Le mode de fabrication de l’oeuvre par assemblage de pièces métalliques évoque les pièces et outils inventés au siècle des Lumières, exposés au Conservatoire National des Arts et Métiers, non loin du site. Elle tient du cadran solaire quand elle reflète le ciel, d’une lentille optique lorsqu’on y promène le regard, du mètre ruban quand on en fait le tour en lisant les noms des victimes, de la boussole lorsqu’elle indique les lieux des attaques, du baromètre lorsque la surface de l’eau s’irise, d’un thermomètre lorsque l’on touche la surface de l’acier, d’un outil par l’effet de masse du même acier.

Des corps – la position des corps dans l’espace. L’œuvre permet à tout visiteur de positionner son corps dans des orientations géographiques précises. La conjonction des effets de présence du vide des failles et des tranches avec la dimension géographique provoque une émotion singulière, propre à ce lieu qui accueille cette sculpture unique. On imagine un visiteur du soir dont la main vient effleurer les noms gravés sous la surface de l’eau. Les jours de commémoration, des centaines de personnes pourront regarder ensemble dans la direction du quart nord-est. La foule pourra occuper les trois quarts de la place restants, donnant forme au vide du quart nord-est. Le centre du quart nord-est pourra être occupé par les orateurs, qui, tournant le dos aux lieux des attentats, feront face au public.

Un geste artistique qui accueille et qui reçoit – Lors du procès des attentats du 13 novembre, les proches des victimes et les rescapés des attaques ont pu « déposer » à la barre. Des paroles ont été reçues, écoutées par le tribunal devenu qui est devenu alors une grande oreille, un lieu d’accueil des mots prononcés, confiés, déposés. C’est-à-dire qu’on a pu y laisser quelque chose qui avait besoin d’être reçu, et en repartir plus léger peut-être.  Gilles Brusset a conçu le geste artistique comme un lieu d’accueil et de recueil. L’œuvre mémorielle accueille le visiteur avec ses valises, avec tout ce qu’il apporte avec lui de pensées, d’émotions et de sentiments. La « Rose de Saint-Gervais » est un réceptacle. Emu par un effet de présence puissant, le visiteur s’en repartira peut-être un peu délesté de la charge des émotions qui auront pu prendre forme, avoir lieu lors de la rencontre avec l’œuvre.

Une œuvre d’art intégrée à l’aménagement – L’œuvre mémorielle et commémorative « Rose des vents » est une sculpture in situ. Pièce centrale de l’ordonnancement paysager, elle fait corps avec le jardin. Elle s’installe toutefois en rupture avec une harmonie qui serait trop parfaite. Six lignes de composition rompent franchement avec la géométrie réglée de la clairière. Quand la «table d’eau» magnifie la clairière des érables, les «Méridiens» traversent et tranchent le sol vivant. Avec l’œuvre, la carte des attentats est inscrite dans le jardin mémoriel.

Le cinquième monument – Avec sa composition axée et centrée, le jardin mémoriel est classique. Il est contemporain par la sobriété de ses matériaux et le minimalisme de son esthétique. Au milieu de la clairière, entre les façades néo classiques, la table d’eau installe une forme familière à l’histoire de l’architecture : un cercle ouvert sur le ciel. La table d’eau, disque miroir de 13 mètres de diamètre est une stèle liquide. Les radiales des « Méridiens », accident dans l’histoire, échancrent la composition globale. Circonscrit et lisible, le monument horizontal de la « Rose des vents » offre un contrepoint esthétique à l’Orme de Saint-Gervais, aux casernes napoléoniennes, à l’hôtel de ville et à l’Eglise Saint-Gervais-Saint Protais. Les dimensions du nouveau monument lui permettent de jouer dans la cour des grands d’être à l’échelle des illustres voisins. Le cercle de la « Table d’eau » est dans un rapport de proportion avec les arcs plein-cintre de la façade de l’Eglise. La succession des « Failles » et des « Méridiens » fait écho au rythme régulier des façades des casernes Napoléon. La forme circulaire articule les architectures monumentales entre elles. Leurs façades se reflètent tour à tour sur la lame d’eau au gré des déplacement du visiteur.  Le « cinquième monument » devient alors un instrument d’optique qui renouvelle les images des quatre autres qui lui préexistaient. La fragilité des reflets, leur sensibilité aux irisations du vent ou ondes provoquées par le toucher en augmentent la préciosité.  Les images deviennent magie, apparitions relatives au déplacement de l’observateur.

L’art et la création sont des forces vitales qui métabolisent, transforment et subliment les émotions brutes et les pulsions primaires. En tant qu’artistes et créateurs, nous avons été émus et honorés d’avoir été choisis et retenus pour formaliser une proposition de «jardin mémoriel». Nous avons immédiatement aussi été saisis d’une appréhension : le «programme» de l’aménagement, élaboré notamment avec des victimes directes, nous interroge personnellement en tant que citoyen, nous pose une question intime et fondamentale quant à nos métiers et nos vies : que peut l’art face à la mort? Nous avons vite décidé que, face au vertige de la question, nous ne chercherions pas à y répondre de façon forcenée, mais plutôt que nos propositions chercheraient à la poser différemment, à la décliner dans des formes parfois fragiles, inertes ou vivantes, puissantes ou délicates.

Depuis cette date du du 13 novembre 2015, nous ne sommes toujours pas entièrement revenus d’un certain état de sidération devant ce qui est arrivé sous nos yeux. Notre projet est un acte de création. Nous souhaitons qu’il nous aide à sortir de cette sidération dont on sait qu’on ne reviendra jamais complètement.